mercredi 2 septembre 2009

LES FOSSOYEURS DU JAZZ

DEUXIÈME RÉACTION À LA RÉPLIQUE D'ANDRÉ MÉNARD

Par Normand Guilbeault
Musicien de jazz et membre fondateur de L'Off Festival de Jazz de Montréal

À titre de musicien de jazz établi à Montréal depuis trente ans et membre fondateur de l'Off Festival de Jazz de Montréal, c'est avec le plus grand intérêt que j'ai lu le texte "Du Pain et Des Jeux" paru dans l'édition du 19 août dernier et cosigné par Jacques Laurin et Claude Marc Bourget suivi de la malhonnête et mesquine réplique (20 août) d'André Ménard, premier vice-président et cofondateur du Festival international de jazz de Montréal.

Cette critique de la gestion des subventions accordées au Festival de jazz de Montréal aurait à tout le moins mérité d'obtenir en guise de réplique, un texte tout aussi substantiel quant aux questions qu'il soulève.

En place et lieu, nous avons eu droit qu'à du babillage insignifiant. André Ménard d'entrée de jeu accuse les auteurs de cette missive d'être de mauvaise foi. Non, mais quelle arrogance! En fait de mauvaise foi, monsieur Ménard en est le champion incontesté... Alors selon vous M. Ménard, le "Dizzy's" dans Dizzy's Club Coca-Cola de New York (en comparaison avec La Maison Rio Tinto Alcan) sert à signifier "étourdi" plutôt qu'un hommage au grand trompettiste de jazz Dizzy Gillespie? Venant d'un homme qui "connaît tout" sur le jazz, vous faites preuve de très mauvaise foi. Allez M. Ménard, faites un effort, vous en connaissez, vous, un autre jazzman appelé Dizzy?... Dizzy Tremblay peut-être...

Toujours selon vous, M. Winton Marsalis (directeur artistique du "Jazz at the Lincoln Center") approuve votre initiative et vos efforts pour le jazz d'ici. Ha! Ha! Faites-moi rire... Dans ce cas, prenez donc un peu d'argent des subventions récurrentes que vous obtenez bon an mal an et offrez à M. Marsalis la possibilité de faire une résidence d'un an à Montréal, on verra ensuite les conclusions qu'il tirera de vos efforts alloués au jazz d'ici... Dans le même paragraphe, vous en profitez pour mentionner le fait que M. Marsalis a lui aussi recours à des artistes provenant d’autres sphères de la musique en mentionnant Willie Nelson et Calexico (étrangement j'arrive du site "Jazz at the Lincoln Center" et tout ce que j'y vois ne concerne que le jazz...), ce qui d'après votre opinion de gestionnaire aide M. Marsalis à boucler son budget de fonctionnement et justifie par le fait même votre soi-disant obligation à faire de même. Triste constat...

D'après vous M. Ménard, il paraît que le FIJM encourage par des bourses tous les programmes universitaires en jazz de notre ville. Ah oui!!! Wow! Vous devriez vous en vanter plus souvent, car le milieu n'en n'entend jamais parler... Nommez-nous tous les programmes universitaires en jazz que vous encouragez et bien sûr les montants alloués pour bien comprendre à quel point, nous, musiciens de jazz, sommes choyés par votre mécénat...

Depuis 30 ans maintenant, cette "supercherie" que vous appelez "Le Festival International de Jazz"' s'est transformé en une immense foire ou fourre-tout musical (que vous vous efforcez de nous vendre sous le signe de l'ouverture aux autres sphères musicales), où l'on retrouve tous les styles musicaux. Oui, oui, bien sûr il y a du Jazz (il faut bien justifier les subventions, après tout...) mais on y retrouve aussi du Blues (tout à fait pertinent et normal puisque le Blues est à la base même du jazz), Blues rock, Bossa Nova, Country rock, Western, Dub, Électro, Folk, Funk, Gospel, Hip hop, Indus, Ska, Rockabilly (merci à Laurent Saulnier), Pop rock, Rap, Reggae, R&B, Rock progressif, Rock alternatif, Samba, Trip hop, World music, et j'en oublie sûrement...

Oui, je vous vois venir M. Ménard avec votre "Guilbeault ce puriste, Guilbeault cet élitiste", allez-y fort, je connais bien vos tactiques... Ne vous méprenez pas, je ne dénigre aucun de ces styles musicaux bien au contraire, je les apprécie tous, pourvu que l'on me propose de la qualité. Mais que tous ces styles aient une place dans un festival de jazz dépasse l'entendement. Ce que je tiens à souligner surtout, c'est que jamais, vous m'entendez, M. Ménard, jamais en tant que musicien de jazz, moi ou mes collègues, n'avons été invités dans un festival de blues, Blues rock, Bossa nova, Country rock, Western, Dub, Électro, Folk, Funk, Gospel, Hip hop, Indus, Pop-rock, Rap, Reggae, R&B, Rockabilly, Rock progressif, Rock alternatif , Samba, Trip-hop, World music, JAMAIS!!! Pourquoi pensez-vous? Parce que logiquement le jazz ne fait pas partie des styles ci-haut mentionnés.

Alors, pourquoi le jazz lui, devrait inclure tous les styles? Est-ce parce que le Jazz c'est n'importe quoi? Ou comme dans l'expression bien connue "And All That Jazz" pour signifier "et tout le reste"... Cette musique presque centenaire a-t-elle toujours inclus tous les styles? Non, VOUS avez décidé que le jazz deviendrait ce méga centre d'achats où l'on trouve de tout et qu'en bout de ligne ce fourre-tout musical serait bien plus payant. Exit le jazz et tous ses dérivés traditionnels (Rag, Dixie, Swing, Bop, Hard bop, modal, free jazz, expérimental) pas payants, trop puristes, trop pointus, trop marginaux...

Vous du FIJM préférez envoyer le message au public que le jazz, finalement, c'est vraiment n'importe quoi!!! Vous êtes devenus, paradoxalement et étrangement avec les années, les fossoyeurs du jazz à Montréal!

Vous êtes les dignes représentants en Amérique du Nord de Claude Nobs, fondateur du "jadis" Festival de Jazz de Montreux, ce Festival qui avec les années n'a plus de "jazz" que le nom, à preuve voici un aperçu de la programmation 2009; Steely Dan, Alice Cooper, Prince, Wyclef Jean, Chickenfoot, (tous des jazzmans, hi! hi!...) Une suggestion en passant, changer le nom de votre "Festival International de Jazz de Montréal" serait peut-être approprié pour l'avenir; que diriez-vous du Festival d'été de Montréal!!! J'en connais un à Québec qui apprécierait beaucoup...

Depuis 10 ans maintenant, je crois bien être le "seul" musicien de Jazz montréalais qui boycotte volontairement votre Festival. Je vous vois bien prétendre le contraire, parce que depuis deux ans j'ai fait parti de la programmation de l’Upstairs Jazz Club, petit lieu sympathique géré par un vrai visionnaire du jazz montréalais (Joel Giberovitch). Lieu que vous chapeautez depuis quelques années pour vous donner plus de crédibilité face au milieu du jazz montréalais. Soyez assurés qu'à chaque fois que je performe à l’Upstairs, ce n'est certainement pas en pensant au "prestigieux" FIJM.

Dernier point, M. Ménard et compagnie, comptez sur moi pour vous boycotter jusqu'à mon dernier souffle de vie et soyez assurés que partout où je passe et passerai en tant que musicien de jazz, j'en profiterai pour décrier votre cirque infâme, ça fera changement de toutes les tapes dans l'dos que vous recevez et recevrez de gens qui n'y voient que du feu!

À bon entendeur, salut!


L'ÉNORME FESTIVAL ET SON EMPIRE — SUITE ET FIN.



RÉACTION À LA RÉPLIQUE D'ANDRÉ MÉNARD

par Jacques Laurin
Ex-président, Regroupement des Artistes Jazz du Québec (RAJQ) et Initiateur du projet de Centre International de Jazz de Montréal (CIJM)
et Claude Marc Bourget
Pianiste et compositeur, initiateur de la Société des musiques improvisées du Québec

André Ménard, ce 20 août, prenait la plume pour répliquer à la lettre que je cosignais avec Jacques Laurin sur le Festival International de Jazz de Montréal et son empire tentaculaire et démesuré. Jacques Laurin réagit de belle manière ci-dessous, mais on voudra bien me laisser écrire deux mots en guise d’introduction.

André Ménard, d’entrée de jeu, y est allé plutôt bassement, par un coup ad hominem, sous la ceinture. Sa réplique dévoile comme un vicieux secret les tentatives de Jacques Laurin pour se rapprocher de son trône. Pourtant, rien de plus normal. Les efforts de rapprochement sont des efforts de paix et de conciliation, et nul professionnel du jazz au Québec ne peut ignorer l’Empire festivalier, au moins comme extraordinaire réservoir de subsides. Moi-même je m’y suis coincé le pied. Or, à voir de près, avec un temps d’analyse, les différences se confirment, comme les différends. Nous en sommes là.

Je passe sur les vétilles orthographiques et autres arguties peu convaincantes, voire sur les chiffres triturés et drolatiques qu’André Ménard, en bon musicien comptable et chef vendeur, répète sur toutes les scènes, chaque année. Sa partition est connue et a charmé la salle trop longtemps. Laissons les bonnes oreilles identifier les thèmes éculés et les fausses notes. La lecture d’aujourd’hui les y aidera.

Je termine toutefois avec le plus cruel : l’insidieuse façon, dans cette réplique, de mettre en doute le jugement de Jacques Laurin, sa logique et son entendement, son sens de la réalité — en résumé de renvoyer l’homme à sa musique. C’est le procédé du dictateur : mettre en doute l’intégrité mentale ou émotionnelle de ses opposants, sinon leur légitimité. Qui s’attaque à l’Empire s’attaque à la raison d’État et doit donc présenter quelques signes problématiques, des éléments de rage, du ressentiment, de mauvais instincts, ou ne pas être à sa place. Aucune raison raisonnable, aucune cause, nul principe éclairé, bien sûr, ne conduirait à remettre en question le contrôle et l’omniprésence de Spectra et de ses nombreuses incarnations. Surtout pas la réalité, surtout pas l’évidence...

Que les musiciens retournent donc à leur musique et ne se mêlent pas de gros sous !

Claude Marc Bourget

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Réponse à André Ménard, Premier vice-président et cofondateur du Festival international de jazz de Montréal

Je suis désolé de vous avoir dérangé et blessé, mais je suis certain que vous vous en remettrez aisément. Je n’ai rien contre votre festival en particulier et vous félicite encore une fois de votre succès, mais les faits demeurent.

Lors de mes démarches de représentation à titre de président du Regroupement des artistes de jazz du Québec (RAJQ), j’ai pu constater que la situation des musiciens de jazz du Québec était, et demeure toujours, dans un état critique. D’autre part, lorsque je présentais le projet de Centre international de jazz de Montréal (CIJM), projet de mise sur pieds d’un réel lieu de diffusion, de création et de ressourcement pour les musiciens de jazz, il n’y a pas un ministère, pas une instance gouvernementale qui ne demandait pas si vous étiez au courant de ce projet, comme si le FIJM était le ministère du jazz au Québec. (Nous avons d’ailleurs rencontré votre président à deux reprises, en 2007, concernant ce projet).

Alors comme vous ne semblez pas encore comprendre la dite situation, permettez-moi de vous l’expliquer autrement.

Au Québec, en jazz, il n’y a d’argent pratiquement que pour le FIJM. Vous avez accaparé, au fil du temps, toutes les ressources qui pourraient annuellement aider au fonctionnement et au développement des musiciens de jazz du Québec. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller voir les chiffres issus de n’importe quel organisme subventionneurs du Québec ou du Canada, pour constater que les musiciens de jazz ne reçoivent, bon an mal an, qu’environ 1% du budget accordé au fonctionnement des organismes œuvrant en musique (Un peu plus de 100 mille dollars au Conseil des Arts et des Lettres du Québec sur un budget d’environ 17 millions en musique).

Lorsque que je dévoilais cette fâcheuse situation, je me faisais invariablement demander : Mais que faites vous de tous les millions versés au FIJM, donc au jazz ?

Voilà une excellente question : De tous les millions de dollars reçus par le Festival International de jazz de Montréal au nom du jazz, combien sont retombés sur les musiciens de jazz du Québec ?

Peut-être aurez-vous la grâce de révéler le chiffre précis des cachets versés aux musiciens de jazz d’ici, mais connaissant la hauteur de ceux versés à certains des meilleurs d’entre eux, je suis convaincu que ces retombées directes n’atteignent pas un pourcent (1%) du budget global de 30 millions de dollars du FIJM. Et j’irai plus loin, tout en constituant de façon générale une sorte de fuite de capitaux publics vers l’étranger, certains cachets versés pour une seule prestation au FIJM suffiraient presqu’à soutenir adéquatement toute la communauté jazz du Québec pour une année.

Pour terminer, mon offre de service n’a jamais été secrète. Tous mes collègues étaient au courant et en connaissaient la teneur. En me traitant d’une part d’activiste épisodique pour avoir représenté les intérêts des musiciens de jazz du Québec et essayé de mettre sur pieds un réel lieu de diffusion, de création et de ressourcement qui les concernent en dehors de votre organisation, et en vous vantant d’autre part de n’avoir pas donné suite à mon offre de service vous proposant de concrétiser cette démarche à l’intérieur de celle-ci, vous n’arrivez finalement qu’à illustrer, encore une fois, votre indifférence face à la situation extrêmement précaire vécue par les membres de la communauté qui a le plus contribué à votre réussite.

Après plusieurs tentatives infructueuses, le temps est peut-être venu d’obtenir audience auprès de l’actuelle Ministre de la Culture et des Communications du Québec, Madame Christine St-Pierre.

Jacques Laurin